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C’était l’objectif prioritaire de la Présidence française de l’Union : il est atteint. Les cinq textes « piliers » du Paquet Climat présenté par la Commission en juillet 2021 ont passé les étapes déterminantes de l’examen par le Parlement européen puis, dans la nuit du 28 au 29 juin, celle de la prise de position du Conseil des ministres de l’environnement des vingt-sept.

Les observateurs s’attendaient à des négociations particulièrement serrées sur le mécanisme de fin de commercialisation des véhicules thermiques. Ce pronostic a été déjoué par l’apparition de divergences plus marquées au sein du Parlement sur un autre sujet : celui du rythme de l’adaptation et de l’extension du marché carbone interne, préalable technique et économique à la mise en œuvre du futur Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF). Ces désaccords ont abouti à un vote initial de rejet le 8 juin ; avant que les négociations entre groupes permettent l’adoption in extremis d’un texte de compromis en second examen, le 22 juin.

Historique, bilan et avenir du marché européen du carbone

Créé au 1er janvier 2005 pour honorer les engagements du protocole de Kyoto, il concerne 11 000 sites qui pèsent de l’ordre de 50% des émissions de CO2de l’Union. Il s’applique dans cette configuration aux secteurs suivants : production électrique, raffinage, sidérurgie, cimenterie, chimie, chauffage urbain et partiellement à l’aviation (vols commerciaux intérieurs depuis 2012).

Plus vaste marché carbone du monde, ce système européen fonctionne sur une logique d’autorisations dégressives d’émissions de gaz à effets de serre (droits à polluer), assortie d’une obligation de compenser financièrement les dépassements par l’acquisition de quotas non utilisés sur une marketplace de régulation.

L’urgence climatique et les enjeux de relocalisations imposent une profonde refonte du cadre

Conçue il y a quinze ans pour répondre à des objectifs de réduction d’émissions de GES très progressifs, cette organisation est aujourd’hui dépassée. Plus incitative et pédagogique que contraignante, elle n’est plus adaptée à l’ampleur du dérèglement climatique actée par l’accélération de la trajectoire de rattrapage pour 2030 posée par la feuille de route « Fit For 55 » de l’UE.

Dès l’origine, ce marché a été biaisé par l’allocation d’une quantité trop importante de quotas, dont un volume extrêmement élevé de quotas gratuits (80% début 2013). Légèrement inférieur à 15 € en 2009, le cours de la tonne de carbone s’est alors orienté à la baisse, influencé par les fluctuations de conjoncture, mais surtout par un volume croissant de « fuites de carbone » (entre 1995 et 2018, les émissions domestiques ont baissé de 30%, et les émissions importées augmenté de 78%).

En janvier 2018, un périlleux plancher à 7 €/t a conduit les autorités européennes à retirer des échanges les surplus de quotas, avec un effet mécanique immédiat : 25,5 €/t en décembre 2018, 32 €/t en décembre 2020. Le marché a alors trouvé une sorte de seuil d’équilibre durant 24 mois.

Depuis, il s’est nettement orienté à la hausse suite à la présentation du plan « Fit For 55 » (de 53 €/t le 16 juillet 2021 à 96 €/t le 8 février 2022) et est devenu extrêmement réactif aux annonces politiques et au contexte international (baisse à 58 €/t le 7 mars 2022 au déclenchement de la guerre en Ukraine…).

Assujettir de nouveaux émetteurs pour préfigurer le mécanisme d’ajustement aux frontières

Pour que la taxe carbone que l’Union Européenne prévoit d’instaurer à ses frontières soit efficace et acceptée par ses partenaires commerciaux, elle devra remplir au moins deux conditions :

– l’incontestabilité de sa cohérence écologique, en englobant la totalité des activités à fortes émissions ;
– une conformité avec les exceptions aux accords sur les tarifs douaniers que la jurisprudence de l’Organisation Mondiale du Commerce reconnaît pour la poursuite d’objectifs environnementaux.

Concrètement cela signifie que dans les cinq prochaines années, l’UE doit s’employer à mettre fin aux dérogations et derniers quotas gratuits (aviation) sur la couverture de son actuel marché carbone ; tout en organisant l’extension de son périmètre à de nouveaux secteurs afin de les intégrer au futur MACF : transports maritime et routier, globalité de l’aérien, habitat et éventuellement (à terme) les productions agricoles.

Les positions respectives du Parlement et du Conseil étant arrêtées sur le fond des orientations comme sur les éléments de calendrier, le processus décisionnel entre désormais en phase de négociations pour aboutir à une convergence de vues entre les deux institutions avant la fin de l’automne.

L’enjeu est de positionner au mieux les curseurs pour optimiser l’articulation des deux chantiers jumeaux qui s’ouvrent. Il s’agit donc d’arriver à accélérer le rythme des transitions, tout en ménageant aux filières et entreprises concernées des délais réalistes pour se transformer sans trop fragiliser leur compétitivité sur des marchés mondialisés.

En ce début juillet, la tendance qui se dessine est celle d’une restructuration progressive du marché carbone actuel, conjointe à son extension à de nouveaux secteurs, entre 2027 et 2032.

La mise en œuvre opérationnelle du mécanisme d’ajustement aux frontières pourrait alors intervenir dans les 12 à 24 mois suivants.

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Olivier ABULI, consultant conseil et analyses