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Longtemps 5ème puissance économique mondiale, la France est désormais à la 7ème place depuis 2018. Vu sous le prisme d’un monde et d’une croissance infinie, il ne serait pas saugrenu de penser que l’hexagone puisse être relégué au-delà du dixième rang d’ici quelques années. C’est sans compter la tardive prise en considération, mais non moins palpable, que l’économie ne peut s’extraire du réel.

Du virtuel des indicateurs économiques au monde physique

Jusqu’alors les cercles économiques, financiers et politiques suivaient la performance de leurs affaires sur la base de critères économico-financiers communément admis et partagés entre pays. Ainsi, année après année, Etats-Unis, Chine, Allemagne se voyaient attribuer les meilleures notes du classement. Tandis que la France alternait entre bons points et bonnet d’âne.

Au rang de ses atouts et sans être exhaustif, outre son art de vivre, on peut citer pêle-mêle, une situation géographique unique, un cadre législatif robuste, des infrastructures logistiques et numériques de qualité, un coût de l’électricité compétitif, des écoles et des universités de premier rang, sans oublier bien sûr de grands champions internationaux, aussi bien dans l’industrie que dans les services. Malgré des forces indéniables et enviées par de nombreux pays, la France ne serait pas la France sans ses paradoxes et ses faiblesses. Notamment sa dette publique qui atteignait selon l’INSEE à fin mars 2023 : 3 013, 4 milliards d’euros, soit 112, 5% du PIB, son déficit du commerce extérieur de 53, 5 milliards d’euros en 2022, ou bien encore l’abandon et la non considération de certaines filières, qui ont ébranlé le tissu industriel hexagonal tout au long des décennies précédentes. À tel point qu’une étude du Conseil d’analyse économique a identifié 644 produits importés qui rendent notre appareil productif vulnérable.

Pourtant, dans ce bilan en demi-teinte, la France parvient tant bien que mal à tirer son épingle du jeu. En témoignent notamment les résultats du Baromètre EY de l’attractivité de la France 2023. Avec 1 259 implantations ou extensions annoncées en 2022, la France conserve la première place du classement européen pour la quatrième année consécutive. Signe que les contrastes et paradoxes qui pouvaient freiner ou handicaper la France, pourraient finalement s’avérer des avantages compétitifs majeurs dans le cadre de la transformation durable de l’économie. Les auteurs du baromètre soulignent en effet, “qu’aux facteurs historiques liés à la compétitivité territoriale (coûts, fiscalité, droit social, infrastructures, compétences), s’ajoute une attention plus soutenue à l’approvisionnement en énergie décarbonée, à la résilience des supply chains et à la capacité d’adaptation des écosystèmes locaux”.

La prise de conscience de l’impératif de transformation durable des modèles s’est en effet soudainement accélérée depuis le COVID et intensifiée depuis par les récents épisodes climatiques et tensions sur les chaînes d’approvisionnement. Si la société civile a toujours eu un temps d’avance sur ces enjeux, politiques, patronat et entreprises s’emparent chaque jour toujours plus du sujet. Et en comprennent d’autant mieux la gravité et l’urgence d’agir concrètement.

De par sa vision singulière de l’économie de marché et notamment du rôle et du poids de l’État, de son penchant pour l’égalité ou de son goût pour les débats d’idées, la France, comme dans bien d’autres domaines, n’a pas dit son dernier mot.

Les premiers seront-ils les derniers ?

Comme un avant-goût de sa prise de conscience et de sa volonté de prendre le leadership, le bilan de la COP15 de Paris en 2015, fut unanimement reconnu comme historique.

Dans cette lancée et pour l’accompagner dans cette transformation, la France regorge de talents, héritiers des scientifiques, chercheurs, entrepreneurs et penseurs qui ont façonné notre pays. Jean-Marc Jancovici, Valérie Masson Delmotte, Patrick de Cambourg, Salomé Saqué, Aurélien Barreau, Alexandre Rambaud, Camille Etienne et tous les pionniers, qu’ils soient scientifiques, philosophes, acteurs du monde de l’entreprise, élus, lanceurs d’alerte ou même simples citoyens, oeuvrent et sensibilisent sans relâche pour refonder le modèle et montrer que c’est possible.

L’un deux, Pascal Canfin s’y active au quotidien, à Bruxelles, comme à Paris pour contribuer à transformer les pans de nos économies développées. Via le Green Deal d’abord, mais aussi en lien avec la Commission Européenne pour déployer le Net-Zero Industry Act (NZIA), en réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA) des Etats-Unis.

Pour compléter l’arsenal et ainsi s’adresser au défi du siècle, le Gouvernement porte le projet de loi Industrie verte, pour faire de la France “le leader de l’industrie verte en Europe. Une nation capable de fabriquer des pompes à chaleur, des batteries, des éoliennes, des électrolyseurs, des voitures électriques, mais aussi de décarboner ses industries existantes pour fournir le verre et l’aluminium dont elle aura massivement besoin, grâce à son parc nucléaire unique”.

Trois cents professionnels ont ainsi contribué à établir des propositions, répartis en cinq groupes de travail :
– Groupe de travail n°1 : transformer la fiscalité pour faire grandir l’industrie verte,
– Groupe de travail n°2 : ouvrir des usines, réhabiliter les friches, mettre à disposition des terrains,
– Groupe de travail n°3 : produire, commander, acheter en France,
– Groupe de travail n°4 : financer l’industrie verte française,
– Groupe de travail n°5 : former aux métiers de l’industrie verte.

Certaines propositions ont été soumises à l’avis de nos concitoyens, avant d’être discutées avec l’ensemble des groupes parlementaires. Le résultat, ce sont quinze mesures, articulées autour de quatre priorités : faciliter, financer, favoriser, former. Et qui s’adressent autant aux 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2, représentant près de 60 % des émissions industrielles, qu’aux PME, qui représentent près de 99% des entreprises françaises et qui ont donc un rôle important à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de la biodiversité et celle de notre environnement de façon plus générale.

Les 15 mesures du projet de loi Industrie verte

Si l’objectif est d’accompagner notre appareil productif dans la réduction de son impact climatique global (-41 millions de tonnes de CO2, via 23 milliards d’euros d’investissements d’ici 2030 et la création de 40 000 emplois directs), les deux grandes familles d’activités détaillées ci-dessous sont concernées par les 15 mesures :

– La création d’industries vertes pour établir et étendre les nouvelles industries qui fournissent des biens et services permettant la décarbonation de notre économie,
– La décarbonation de l’industrie existante (18 % des émissions en France), pour permettre à toutes les industries existantes, indépendamment de leur secteur, taille ou emplacement, de verdir leurs opérations et les accompagner dans cette démarche.

Faciliter et accélérer l’implantation de sites industriels en France
1. Offrir 50 sites « France 2030 » et dépolluer les friches industrielles : le foncier étant la première nécessité pour implanter une usine, cette mesure vise à pré-aménager et pré-équiper par anticipation 50 sites, soit environ 2 000 hectares immédiatement disponibles lorsqu’une entreprise souhaite implanter une nouvelle usine en France. Ces sites seront également dépollués lorsqu’il s’agit de friches industrielles réaménagées.
2. Accélérer la dynamique de réindustrialisation dans les territoires : le président de la République a fixé la réindustrialisation de notre pays comme chantier prioritaire, pour que la France produise davantage de richesses, partout et pour tous.
3. Diviser par deux les délais d’implantations industrielles : aujourd’hui, les délais inhérents à l’implantation d’une usine constituent le principal obstacle pour les entreprises qui souhaitent investir en France. L’objectif est donc d’améliorer et d’accélérer les procédures, tout en préservant la protection de l’environnement et en renforçant la participation du public.
4. Créer une procédure exceptionnelle simplifiée pour les projets d’intérêt national majeur : les projets dits « d’intérêt national majeur » doivent contribuer significativement à la souveraineté ou à la transition écologique.
5. Favoriser le recyclage de déchets industriels : l’atteinte de nos objectifs environnementaux passe aussi par le développement de filières de recyclage. La réutilisation des résidus de production au sein des plateformes industrielles doit être simplifiée et les exportations irrégulières de déchets mieux sanctionnées.

Financer l’industrie verte par la mobilisation des fonds publics et privés
6. Soutenir les technologies vertes grâce au crédit d’impôt « investissements industries vertes » : la réussite de la transition énergétique dépend d’industries stratégiques telles le photovoltaïque, les batteries, l’éolien ou encore les pompes à chaleur. La maîtrise et la production de ces technologies en France est essentielle pour notre souveraineté énergétique et l’avenir de notre économie.
7. Soutenir la décarbonation des industries existantes : créer une palette d’aides pour couvrir tous les besoins de décarbonation des entreprises françaises. En plus de l’aide apportée à l’industrie lourde pour se décarboner, les subventions cibleront également les émissions diffuses de gaz à effet de serre du reste de l’industrie.
8. Mobiliser l’épargne privée pour financer l’industrie verte : la mobilisation durable des financements privés est fondamentale pour réussir la transition verte de notre économie, qui mobilise déjà des investissements massifs de l’État, à travers les plans France Relance et France 2030. Nous devons permettre aux épargnants français de contribuer à la décarbonation de notre économie et à notre reconquête industrielle.

Favoriser les entreprises vertueuses dans toutes les interventions de l’État
9. Identifier les entreprises les plus vertueuses : le Triple E (Excellence Environnementale Européenne) : afin de procurer un avantage compétitif écologique aux entreprises qui produisent sur le territoire national et celles, à l’échelle européenne, qui produisent selon les mêmes exigences élevées de décarbonation et de préservation de l’environnement, il est indispensable de concevoir un standard simple et lisible.
10. Une commande publique qui favorise davantage les produits vertueux sur le plan environnemental : la commande publique représente plus de 150 milliards d’euros par an, mais moins de 20% des marchés publics intègrent des considérations environnementales.
11. Conditionner les aides publiques aux entreprises à une trajectoire vertueuse : la réalisation d’un bilan d’émission de gaz à effet de serre est une étape importante pour chaque entreprise, dans l’intérêt climatique mais aussi dans son propre intérêt (« écocompétitivité », moindre dépendance aux énergies fossiles importées, anticipation des obligations européennes en matière de reporting extra-financier, etc.). Or 57% des entreprises concernées (plus de 500 salariés) ne respectent pas leurs obligations en matière de bilan d’émissions de gaz à effet de serre.
12. Conditionner le bonus écologique à l’empreinte environnementale des véhicules électriques :
13. Verdir le budget de l’État : la France a été en 2019 le premier pays à mettre en place un « budget vert ». Il permet de connaître les dépenses de l’État favorables à l’environnement (« vertes »), défavorables à l’environnement (« brunes ») ou neutres. L’impact des dépenses publiques sur l’environnement doit être mieux connu et utilisé pour orienter l’utilisation des fonds publics, dans un objectif conjoint de préservation de l’environnement et de maîtrise du déficit public.

Former aux métiers de l’industrie verte
14. Former plus d’ingénieurs et de techniciens en France : l’engagement que 50 000 ingénieurs soient diplômés par an d’ici la fin du quinquennat.
15. Remettre l’industrie au coeur des formations et renforcer son attractivité. Adresser les besoins du marché en visant la neutralité carbone, innover en préservant les ressources et la biodiversité, poursuivre l’activité tout en formant ses équipes et sensibiliser ses sous-traitants, absorber une bonne partie des coûts des transformations, en limitant leur répercussion sur leurs prix de vente, tels sont quelques uns des défis auxquels sont confrontés l’ensemble des entreprises françaises, européennes comme internationales, afin qu’elles jouent toutes leur rôle dans l’atteinte des objectifs de 2030 et de 2050. Sur ce sujet comme sur les autres, elles pourront en France, bien sûr compter sur la puissance publique de l’Etat, mais devront également faire preuve d’initiative et redoubler d’ingéniosité pour perdurer au sens durable du terme.

Sources :
1. Conseil d’analyse économique : Les notes du conseil d’analyse économique,
n° 64, Avril 2021. Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ?
Xavier Jaravel et Isabelle Méjean :
www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note064v2.pdf
2. EY, Baromètre EY de l’attractivité de la France 2023 – La France devant,
malgré tout, mai 2023 :
www.ey.com/fr_fr/attractiveness/barometre-de-l-attractivite-de-la-france/ba
rometre-de-l-attractivite-de-la-france-2023
3. Projet de loi industrie verte : découvrir les 15 mesures :
www.economie.gouv.fr/industrie-verte-presentation-projet-loi#